De l’espace de classe aux méthodes pédagogiques, l’école d’aujourd’hui s’adapte pour mieux répondre aux besoins des élèves. Si certaines approches pédagogiques balbutient, d’autres ouvrent une voie plus large auprès du corps enseignant et essaiment dans de nombreux établissements scolaires. Parmi elles, la classe mutuelle redéfinit l’espace et le rôle des élèves en favorisant une approche plus interactive et moins académique.
Les premières tentatives de l’enseignement mutuel en France
Une méthode d’enseignement importée d’outre-Manche
Dans les années 1830, certains libéraux français soucieux de rendre l’instruction accessible au plus grand nombre, se sont inspirés des travaux de Bell & Lancaster en Angleterre pour instaurer l’enseignement mutuel (également connu sous le nom de méthode Lancastérienne). Convaincus que le progrès social passait essentiellement par l’éducation du peuple, ils ont vu dans l’enseignement mutuel un moyen d’instruire très vite un grand nombre d’élèves. En effet, l’enseignement mutuel permettait de rassembler dans une grande pièce beaucoup d’élèves avec un seul maître qui pouvait déléguer la transmission du savoir auprès d’élèves dits « moniteurs ». Ces élèves avaient un niveau supérieur et étaient donc en capacité d’aider les autres élèves. Qui plus est, la rapidité d’enseignement et le faible taux d’encadrement nécessaire faisaient de cette méthode une solution particulièrement économique.
Les freins rencontrés par l’enseignement mutuel
En trois ans, les élèves qui avaient suivi l’enseignement mutuel savaient lire (contre 6 années d’apprentissage avec l’enseignement simultané assuré par les frères chrétiens). Si cette rapidité d’apprentissage serait louée aujourd’hui, en 1833 elle suscite de vives critiques. D’une part, certains craignent que les enfants, ayant terminé leur scolarité trop tôt, se retrouvent à errer dans les rues en attendant d’avoir l’âge minimum requis pour travailler (accentuant le phénomène de misère sociale). D’autre part, le patronat s’inquiète du travail des jeunes enfants et enjoint l’État à rendre l’école obligatoire jusqu’à l’âge de 13 ans. Enfin, à cette époque où l’éducation et la religion restent étroitement liées, l’enseignement mutuel se heurte à l’enseignement simultané. Introduit par Jean-Baptiste de La Salle au XVIe siècle, l’enseignement simultané façonne encore aujourd’hui notre vision de l’enseignement : une salle de classe et des élèves assis en rangs écoutant en silence un enseignant transmettre ses connaissances. Au terme de ce que les historiens qualifient de « première guerre scolaire », l’enseignement mutuel est vite abandonné au profit du modèle simultané où l’enseignant est l’unique personne à détenir et à transmettre le savoir. Rappelons qu’il faudra attendre les lois de Jules Ferry, entre 1881 et 1882, pour que l’enseignement primaire public devienne gratuit, obligatoire et laïque.
Comment définir la classe mutuelle aujourd’hui ?
L’élève au centre de l’enseignement
En France, la classe mutuelle a été expérimentée et popularisée par Vincent Faillet, professeur de SVT au lycée Dorian à Paris. Dans son TEDx Changer la classe pour changer l’école, il définit la classe mutuelle comme :
« Une salle de classe dépolarisée et flexible par nature, avec de nombreuses zones d’interaction qui invitent à la libre circulation des élèves et au travail en groupes, dans un objectif d’apprentissage entre pairs. » Vincent Faillet
La classe mutuelle : une approche cohérente avec notre époque ?
Pour Vincent Faillet, notre école perpétue un modèle de classe statique (des bureaux alignés face au tableau unique de la classe avec un enseignant qui dirige) sans prendre en compte le fait que les élèves d’aujourd’hui ne sont plus les mêmes que ceux d’hier. Si cette organisation semblait être adaptée il y a un ou deux siècles, force est de constater que le modèle commence à prendre la poussière et qu’il peut parfois concourir au désintérêt et au désengagement profond des élèves vis-à-vis de l’école. Aujourd’hui, nos élèves ont besoin de coopérer et de bouger pour être acteurs de leurs apprentissages et retrouver le plaisir d’apprendre. La classe mutuelle leur offre un cadre qui favorise cette dynamique collective et active.
Les bénéfices de la classe mutuelle
En repensant l’aménagement de la salle et en plaçant l’élève au cœur du processus d’apprentissage, la classe mutuelle permet d’atteindre les objectifs pédagogiques suivants :
- Retrouver le plaisir d’apprendre en étant acteur plutôt que spectateur du cours (liberté de mouvement du corps, libre circulation dans la classe…) ;
- Faciliter l’intelligence collective et les interactions sociales entre pairs. En expliquant une notion à un camarade, les élèves consolident leur propre compréhension et gagnent en confiance ;
- Développer des soft skills comme la coopération, l’écoute, l’entraide, le travail collaboratif, l’esprit critique ou la communication. Des compétences essentielles aujourd’hui et dans leur future vie professionnelle ;
- Progresser à leur rythme et se sentir valorisés dans leurs apprentissages.
Côté enseignant, la classe mutuelle est une opportunité de revoir sa posture et sa manière de transmettre ses connaissances. Exit la communication descendante, en classe mutuelle l’enseignant devient un facilitateur qui guide les échanges et aide les élèves à construire leur savoir.
À partir de quel âge proposer la classe mutuelle ?
Dans la majorité des cas, la classe mutuelle est expérimentée dans les collèges et lycées. Toutefois, elle pourrait tout à fait être introduite en cycle 3, notamment en fin d’école élémentaire, pour permettre aux élèves de CM2 de développer leur autonomie, leur esprit de coopération… Par exemple, dans les écoles qui pratiquent déjà le principe du décloisonnement, les enseignements peuvent tester la classe mutuelle sur des matières comme Questionner le Monde, Enseignement Moral et Civique ou encore les Sciences.